Carol en Contemplation: « Nourrir le dragon »
« Néron jouait du violon pendant que Rome brûlait ». Ce dicton n’est peut-être pas exact du point de vue historique, mais il évoque bien l’image d’une personne occupée à des bagatelles alors qu’une crise fait rage. L’image colle parfaitement à Stephen Harper en ce moment, lui dont le gouvernement a clairement démontré que son souci premier était le développement de l’industrie pétrolière et gazière du Canada et qui s’est contenté de faire de beaux discours sur les émissions de gaz à effet de serre contribuant aux changements climatiques.
Les Nations Unies ont justement publié cette semaine à ce sujet un rapport qui ne laisse rien présager de bon. Il s’agit du cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Les auteurs y soutiennent que les changements climatiques sont bien réels et actuels et entrevoient des obstacles considérables à l’approvisionnement alimentaire et à la sécurité planétaire à venir. Ils rejettent aussi une généreuse part du blâme sur les politiciens d’Amérique du Nord pour avoir refusé de prendre le problème au sérieux ou d’y remédier avec un tant soit peu de bonne volonté.
Au Canada, nos problèmes n’ont pas commencé avec les dirigeants actuels, mais ils n’ont pas aidé la cause non plus. On se souviendra que le gouvernement de Jean Chrétien avait fait grand cas d’avoir signé l’Accord de Kyoto, mais il a fait si peu pour le mettre en œuvre que c’était facile pour Stephen Harper de se retirer des engagements du Canada. Les conservateurs ont ensuite signé l’Accord de Copenhague, mais nous sommes aussi loin des objectifs qu’il contient que nous l’étions avec l’Accord de Kyoto.
Nous voici maintenant confrontés à un plus vaste dilemme qui requiert de gros efforts d’adaptation dans un monde moins sûr. La violente tornade qui s’est abattue sur l’Oklahoma ou le typhon destructeur qui a frappé les Philippines l’an dernier sont des exemples marquants des coûts que peuvent entraîner les conditions météorologiques extrêmes. Le Canada n’est pas en reste, avec les fortes inondations de Calgary et, plus près de nous, sous l’effet de la pluie, l’affaissement de la route 17 à Wawa et le long de la rive Nord du lac Huron. Toutes ces catastrophes coûtent cher et surchargent nos ressources, dont la planification laisse déjà à désirer. Le rapport de l’ONU nous met pourtant en garde : nous devons nous attendre à de plus en plus de dérèglements de la sorte.
Pour couronner le tout, les changements climatiques viendront exacerber les inégalités à l’échelle planétaire. Les régions déjà riches en eau en auront encore plus – parfois trop – et les régions sèches s’assécheront encore davantage. On verra se multiplier les réfugiés environnementaux provenant des régions côtières inondées en raison de la hausse du niveau des océans et aussi de régions qui n’arrivent plus à produire de nourriture. Les rivières alimentées par les glaciers disparaîtront et les eaux qui resteront pourraient faire l’objet d’âpres luttes.
Alors, que fait le Canada? Pas assez, si l’on en croit un rapport publié en octobre qui prédit que notre pays réduira ses émissions de gaz à effet de seulement trois mégatonnes d’ici 2020 et que nous risquons fort de dépasser notre modeste objectif de 122 mégatonnes. Par ailleurs, nous subventionnons le secteur profitable du pétrole et du gaz à hauteur de 1,3 milliard de dollars par année. Voilà qui montre exactement où se situent les priorités du gouvernement et à qui vont ses allégeances.
Ce qui est difficile à comprendre, c’est ce qui motive un comportement aussi risqué. Le gouvernement croit-il que les changements climatiques sont une question d’opinion, ou croit-il que rien ne peut les arrêter et qu’il ne vaut même pas la peine d’essayer de les combattre? Ce qui est certain, c’est qu’il est beaucoup plus préoccupé par le bien-être d’une industrie rongée par le profit que par celui du Canadien moyen et notre avenir. C’est un peu comme nourrir le dragon qui s’attaque au village.